Le 23 avril 2018, le Premier ministre Bernard Cazeneuve était l'invité du Syndicat des Équipements de la Route. Cette nouvelle édition des « Matinales du SER », qui s'est tenue dans l'auditorium de la Fédération Nationale des Travaux, était placée sous le thème des dispositions prévues par la loi Sapin 2, et des recommandations de l'Agence française anti-corruption (AFA). À la table des discussions était également présent l'avocat Olivier Attias, confrère de M. Cazeneuve au sein du cabinet parisien August Debouzy, qui a apporté des éclairages sur la mise en application de cette loi et les modalités des contrôles de mise en conformité effectués par l'AFA.
Le contexte international d'une loi majeure et attendue
Le président du SER, Aly Adham, a ouvert la séance par un discours introductif, insistant notamment sur les bienfaits de l'application de la loi Sapin 2, qu'il s'agisse de renforcer la transparence des entreprises, de mieux lutter contre la corruption, mais aussi d'améliorer leur réputation tout en les hissant au niveau des meilleurs standards en vigueur. À la tribune, Bernard Cazeneuve a poursuivi en rappelant que si la perspective de s'adapter à une législation nouvelle peut paraître contraignante pour certains, il s'agissait là d'une législation « destinée à protéger les entreprises et l'économie françaises du risque réputationnel qui s'attache au non-respect des règles éthiques ». Un non-respect pouvant engendrer des procès et contentieux au retentissement médiatique important et nuisant pendant de longues années à la réputations de certaines entreprises.
L'ancien Premier ministre s'est ensuite attaché à montrer que « la question de la globalisation de l'économie doit être liée à celle de l'émergence de règles et de principes éthiques, partagés par tous les acteurs économiques, et qui les conduisent dans le cadre d'une compétition internationale féroce, à adhérer aux mêmes principes et aux mêmes règles ». Cette adaptation du monde économique à ces principes éthiques s'est opérée de manière très différenciée selon les zones géographiques. « Chacun peut s'émouvoir, parfois à juste titre, de la manière dont les Américains interviennent au sein d'entreprises européennes et parfois françaises pour évaluer les conditions dans lesquelles celles-ci respectent ou non les règles éthiques qui prévalent sur leur sol », a détaillé Bernard Cazeneuve. Une extra-territorialité américaine qu'il explique en partie par les manquements de l'Union européenne et de la France à mettre en place un dispositif performant et complet de lutte contre la corruption à destination de ses acteurs économiques : « entre 1977, l'adoption par les États-Unis du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) et 2016, l'adoption en France de la loi Sapin 2, se sont écoulées plusieurs décennies pendant lesquelles les américains ont tenu un discours qui a pu choquer : si nous, américains, nous érigeons en shérif du monde lorsqu'il s'agit de la lutte anti-corruption c'est parce que vous, européens et français, ne faites pas ce travail chez vous ». Le retard accusé par la France et l'Europe dans la lutte contre la corruption a pu servir d'argument aux américains pour être intrusifs à l'égard des entreprises étrangères.
Bien que la France ait adapté son dispositif législatif à la fin des années 1990 concernant les transactions commerciales internationales et notamment la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers, « il a fallu attendre la loi Sapin 2 pour être muni d'un dispositif global anti-corruption qui permette au pays de se mettre au niveau des meilleurs standards européens et internationaux », a insisté Bernard Cazeneuve. Il déplore toutefois qu'aucun objectif commun au niveau européen n'est encore été atteint : « si l'on veut corriger la relation asymétrique entre l'Europe et les États-Unis, nous devons instaurer un ensemble de règles au sein du marché unique, à 27 demain, et ainsi adhérer à une même communauté de préoccupations concernant la lutte contre la corruption ».
Des obligations multiples et précises
Détaillant la philosophie de la loi Sapin 2, pensée pour offrir aux entreprises un cadre permettant de se prémunir des risques de corruption tout comme d'une intervention du DOT américain ou du SFO britannique (intervention entraînant souvent de lourdes pertes financières pour les entreprises concernés et de grandes difficultés à rétablir leur réputation), le Premier ministre a insisté sur « la nécessité de mettre en place des dispositifs qui préviennent la corruption plutôt que de devoir la constater faute de l'avoir prévenu ». Concernées, les entreprises qui emploient plus de 500 salariés et dont le chiffre d'affaire est supérieur à 100 M€ / an. C'est l'Agence française anti-corruption (AFA) qui se charge ensuite de contrôler la conformité de ces dispositifs. Olivier Attias a ainsi exposé les modalités d'intervention de l'AFA et les attentes de l'agence au cours des contrôles qu'elle pratique auprès des groupes et entreprises concernées par la loi. Bernard Cazeneuve a ensuite déroulé avec force détails les obligations de ces entreprises, comme précisées dans l'article 17 de la loi Sapin 2.
Parmi ces obligations :
- « l'élaboration d'une cartographie des risques potentiels de corruption et de manquements auxquels une entreprise peut se retrouver confrontée en raison de la singularité et de la spécificité de ses activités ». Doivent être passé en revue les personnels les plus exposés, les zones géographiques sensibles ainsi que l'ensemble des business partners et tiers de l'entreprises ;
- la rédaction d'un code de bonne conduite définissant l'ensemble des mesures prises par l'entreprise pour être parfaitement éthique dans la manière de mener ses activités (y sont notamment intégrés les politique de cadeaux, de mécénat, de sponsoring...) ;
- « la mise en place de lignes d'alerte qui permettent aux salariés des entreprises d'alerter leurs supérieurs hiérarchiques ou référents lorsqu'ils constatent un décalage entre ce que sont les principes éthiques auxquels l'entreprise dit se conformer et la réalité », a détaillé Bernard Cazeneuve ;
- l'instauration d'un dispositif d'évaluation des tiers et business partners de l'entreprise dont « la cartographie des risques doit permettre d'identifier les profils les plus sensibles ». En complément, l'article 25 de la loi concernant la déclaration des représentants d'intérêts doit conduire les entreprises à « déclarer auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique le nom de ceux qui sont chargés des relations avec les représentants de la puissance publique », a également rappelé l'ancien Premier ministre.
Conformité rime avec attractivité
Interrogé sur l'impact de la mise en œuvre de la loi Sapin 2 quant à l'attractivité de la France pour la pratique des affaires, Bernard Cazeneuve s'est dit convaincu que « les entreprises faisant de la mise en conformité à tous les niveaux (environnemental, social, qualité produit, santé, sécurité, etc) avec une dimension éthique et selon un ensemble de valeurs partagées en interne comme par leurs partenaires, auront un avantage de compétitivité considérable dans les années à venir ». L'application d'un programme de mise conformité comme outil marketing donc, mais aussi une « obligation pour des entreprises afin de répondre à certains appels d'offres étrangers, notamment américains », a ajouté Olivier Attias.
Saluant l'initiative du SER et l'élaboration prochaine de sa charte éthique, Olivier Attias y voit une « preuve d'un engagement supplémentaire dans la prévention et la lutte contre la corruption » au sein d'un secteur régulièrement exposé à de ce type de risques. Le Premier ministre, s'il voit pour le moment dans l'absence de cas de corruption majeure révélé par les contrôles de l'AFA de quoi renforcer la crédibilité de la France et ses acteurs économiques, insiste par ailleurs sur la nécessité d'être « extrêmement ferme sur les sanctions pénales qui pourraient advenir à l'issue de certains contrôles de l'AFA ». La rencontre a été conclue par Aly Adham qui, compte tenu du nombre important des entreprises membres du SER dans l'obligation de se plier aux dispositions de la loi Sapin 2, a rappelé le caractère englobant de l'éthique des entreprises et des affaires, l'appliquant « tant au domaine de la lutte anti-corruption qu'au respect d'un ensemble de règles d'ordre sécuritaire, environnemental, social ou encore technique ».