Le 18 septembre 2019, le SER, en partenariat avec la revue WeDemain, a organisé une conférence sur le thème « La Route Demain – Collectifs ou individuels, douces ou hyper-connectées, quels modèles de transports et de mobilités pour demain ? »
Cette table ronde a abordé, au travers de ses six intervenants, les problématiques de l’avenir de la mobilité à cours et moyen termes, des différents enjeux de surcharge des infrastructures et des inégalités territoriales, de la route intelligente et des véhicules autonomes, ainsi que de la cohabitation des deux modèles de mobilité douce et connectée.
La route, vecteur de connexions géographiques et sociales
Sonia Lavadinho, anthropologue urbaine et géographe, spécialiste des questions de mobilités, a ouvert la discussion en rappelant que la route est un instrument ancien, qui existe depuis les premières proto-villes, introduisant ainsi le concept de connexion bien avant l’ère du digital. En découle le phénomène de co-présence entre les êtres. Et si le commerce a favorisé l’émergence de l’objet route, notre occupation de l’espace est aujourd’hui tri-dimensionnelle grâce aux supports maritime, aérien et terrien, privilégiant toujours plus notre interconnexion.
La 5G favorise la proximité (plus nécessairement physique) et la route n’est plus concurrentielle, puisque la vitesse physique d’un véhicule ne peut rivaliser avec la vitesse instantanée de la fibre. C’est pour cette raison que « le smartphone est devenu l’outil de mobilité par excellence, une mobilité constellaire, parce que le problème n’est pas tant la mobilité des individus que trouver un moyen d’avancer, re-synchroniser nos temps et nos agendas enregistrés dans nos téléphones », a-t-elle précisé.
L’anthropologue a alors remis en question le terme de « ville multi-modale », qui sur-met l’accent sur les modes de transport au lieu d’appuyer sur la texture des trajets, possible vecteur d’échanges : souhaite-t-on aller vite ou lentement ? Profiter du trajet pour faire des arrêts ? Être seul ou accompagné ? « Au fur et à mesure que la Silicon Valley s’est urbanisée, passant de la route à la rue, une certaine sérendipité s’est mise en place et des rencontres fortuites en ont découlé. Dans un tel écosystème, les dynamiques de proximité vont largement favoriser la co-présence, qui va nous rapprocher les uns des autres ». L’objectif pour y parvenir va être la reconquête de l’objet route (végétalisée, plus vivante, impliquant biodiversité des usages, des publics et des temporalités).
Route coopérative et énergétique
Bérangère Abba, députée La République en marche et rapporteure de la Loi d’orientation des mobilités (LOM), a ensuite pris la parole pour rappeler les défis rencontrés dans la modernisation de la LOTI. Cette dernière loi sur les transports, qui datait des années 1980, était encore très loin des évolutions que la société a pu connaître ces dernières décennies, et donc des nouvelles mobilités. « 1 Français sur 4 a, au cours de sa vie, refusé un emploi pour des questions de mobilité, et 7 Français sur 10 prennent au quotidien leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail », a-t-elle détaillé.
En milieu rural, le réseau d’infrastructure a gravement souffert d’un sous-investissement et les Français n’y ont pas accès aux véhicules connectés et autonomes, même si ces derniers « sont une première réponse à apporter à une population vieillissante, en perte d’autonomie ». Il s’agit de prioriser les besoins, tout en gardant à l’esprit les questions de sécurité.
Jean-Laurent Franchineau, directeur du programme Éco-mobilité de l’institut Vedecom, a alors évoqué le concept de route coopérative. Le véhicule autonome s’inscrit dans la perspective d’aide à la conduite pour sécuriser les routes et optimiser leur utilisation. « Cette technologie se déploie en coopération avec la route intelligente, qui échangera des informations avec les véhicules et permettra, à tout moment, de prévenir du danger et, de fait, sécuriser et optimiser la capacité et le débit quotidien de nos routes. »
Pendant de la recharge statique sur véhicules électriques, l’institut Vedecom développe la technologie d’induction pour mettre au point une recharge dynamique de la route, envisageable sur des axes structurants tels que les périphéries. « La route se numérise. Nous utilisons tous dans notre quotidien des applications de géolocalisation, ce qui prouve l’importance de numériser l’infrastructure pour à la fois optimiser les parcours et diminuer le stress ressenti au cours des trajets. » La voiture autonome est d’ores et déjà disponible, en niveau 2 d’automatisation, proposant une certaine assistance à la conduite en s’appuyant, grâce à divers équipements, sur le véhicule qui le précède pour réguler sa vitesse. « Si on parle d’assistance à la conduite, on a déjà, à l’heure actuelle, ce qu’on peut appeler de manière généraliste "voiture autonome". »
Combiner usage de la route et civisme
La société Lime, créée en janvier 2017 et lancée en juin 2018 à Paris, a rencontré un réel succès avec 100 millions utilisations en deux ans à l’international et 14 millions d’utilisations en 15 mois dans la capitale française. Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime France est intervenu pour décrire cet essor des trottinettes électriques. « En moyenne, nous enregistrons 65 000 utilisations quotidiennes à Paris. En très peu de temps, Lime est passée de start-up proposant un projet innovant à société industrielle à part entière. »
Avec cette émergence s’est posée la question de normaliser l’usage de la trottinette et inscrire son utilisation sur le long terme, en harmonie avec le code de la route. « Nous avons travaillé avec la mairie de Paris pour la mise en place d’une réglementation. La LOM va permettre d’aller plus loin et éviter les excès que nous avons pu observer, comme l’abandon des trottinettes sur la route qui représente un réel danger. »
La réorganisation de l’espace urbain a de nouveau été évoquée : un stationnement voiture peut accueillir jusqu’à 15 trottinettes, qui pourraient être utilisées 75 fois par jour. Mais le partage de cet espace, une fois ouvert, encourt le risque d’être pris d’assaut par les deux-roues motorisés.
Agnès Laszczyk, vice-présidente de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), a fait progresser la discussion des modes de déplacement doux vers le vélo, « mode de transport à part entière qui doit être reconnu et accessible pour tous les territoires, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux ». La vice-présidente a ainsi soutenu que le développement du vélo à assistance électrique (VAE) permettra de parcourir de plus grandes distances, d’autant que 75 % des déplacements quotidiens font moins de 8 km. 5 Français sur 10 ont déclaré être prêts à prendre le vélo pour leurs déplacements au quotidien, à condition qu’ils disposent d’un réseau cyclable continu et des places de stationnement sécurisées. « Il faut favoriser l’inter-modalité pour les déplacements dépassant 30 km. »
Avec 2,7 %, la France est le 25e pays sur 27 en part modale d’utilisation du vélo en Europe. Un retard qui, selon Agnès Laszczyk, se justifie par l’absence de réseau cyclable sécurisé. « Le vélo est une mobilité active bénéfique, mais qui nécessite des aménagements, des pistes dédiées, des rues réservées (telles les Fahrradstraßen en Allemagne) et des routes agricoles consacrées aux riverains, agriculteurs et cyclistes ». La FUB préconise en outre l’apprentissage obligatoire du vélo à l’école, aussi bien pour des questions de civisme que de reconnaissance du danger. « Il faut aménager les carrefours, proposer des jalonnements spécifiques aux vélos, installer des panneaux de signalisation directionnels pour vélos, donner la priorité aux vélos et rendre les pistes cyclables visibles pour diminuer la vulnérabilité des cyclistes », a-t-elle conclu.
Marion Waller, directrice adjointe du cabinet de Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris pour l’urbanisme du Grand Paris, a salué les objectifs communs des différents acteurs étatiques, locaux, des entreprises et des fédérations présents à cette table ronde. « Ce n’est pas anodin pour Paris puisque nous avons ouvert, ce jour, la piste cyclable continue bidirectionnelle de la rue de Rivoli, qui relie la place de la Bastille à la place de la Concorde. » Elle a poursuivi en soulignant qu’en cette période de rentrée scolaire, le nombre de cyclistes et de « trottinettistes » dans la capitale est très satisfaisant.
La France souffrait d’un retard considérable en matière d’aménagements cyclables car la route avait été envisagée comme le monopole de la voiture. Cette vision ne fonctionne plus, et pas seulement à Paris. Il faut effectuer cette transition de la route à la rue et placer les mobilités douces au centre. « Aujourd’hui, moins de 35 % des Parisiens possèdent une voiture. L’urbanisme pratiqué à Paris est un réajustement de l’espace public par rapport à l’usage des habitants. Et la preuve est là que les pistes sont fréquentées ».
Aly Adham, président du SER, a clôturé la conférence en remerciant les intervenants et en saluant un débat de société regroupant à la fois les techniciens, les générations, les politiques et les gestionnaires de l’espace urbain qui, ensemble, aspirent à trouver des solutions aux problématiques de mobilité actuelles. « La route, pour moi, n’évoque pas uniquement la voiture, c’est un espace. En prenant l’avion ou le train, je dis bien "je suis en route" ; c’est une sphère de partage et d’intelligence qui doit prévaloir. En termes de technologie, des outils se développent grâce à l’énergie, l’intelligence humaine – à qui nous devons la roue – et l’entraide pour, ensemble, déployer des solutions bénéfiques à nos enfants et petits-enfants. »