Juin 2022 – Les entreprises de la signalisation horizontale connaissent une crise sans précédent. Depuis pratiquement deux ans, elles sont confrontées à des pénuries récurrentes de matières premières qui désorganisent leur chaîne de production. Parallèlement, les prix se sont envolés, entraînant une hausse considérable de leurs coûts de fabrication. Et rien ne laisse présager une amélioration avant la fin de l’année 2022.
Les premières difficultés sont survenues lors de la crise du Covid-19. Les confinements successifs ont incité les particuliers à entreprendre des travaux de peinture chez eux. Cette hausse soudaine de la demande a déstabilisé le marché. Les typologies de matières premières nécessaires à la fabrication de peinture sont en effet les mêmes pour les particuliers ou l’industrie. Face à cette pression, les fournisseurs – en particulier les industriels de la chimie – ont été amenés à faire des arbitrages, privilégiant les gros clients tels le secteur du bâtiment, plutôt que l’industrie du marquage au sol, marché de niche pesant à peine 30 à 40 000 tonnes par an.
Le dioxyde de titane devenu denrée rare
Première matière touchée par la pénurie : le dioxyde de titane, pigment blanc très utilisé dans les peintures routières pour ses qualités réfléchissantes. La Chine, principal producteur mondial, a réduit considérablement ses livraisons durant la crise du Covid. Usines à l’arrêt, transports suspendus… Le dioxyde de titane est devenu une denrée rare. Lors de la reprise post-covid, le pigment chinois est apparu moins compétitif en raison de la flambée du fret. Les industriels se sont alors tournés vers les producteurs européens et le cours de cette matière première s’est envolé.
Alors que la tonne se négociait 2100 € en 2016, elle est montée à 2650 € au premier trimestre 2021 pour atteindre 3600 € en avril 2022. Or le dioxyde de titane représente 5 à 20% du poids d’un kilo de peinture et jusqu’à 40% du prix d’une formule.
Une vague de froid aux USA
Plusieurs événements internationaux sont venus s’ajouter à cette crise.
La vague de froid qui a touché le Texas durant l’hiver 2021 a fait sauter toutes les canalisations de la plus grande usine de résines américaine. Bilan : trois mois d’arrêt en pleine saison de marquage au sol et des délais de livraison vers l’Europe allongés d’autant. Les fabricants français ont bien cherché des alternatives mais les peintures de marquage au sol étant certifiées (double certification européenne et française) le composant manquant doit être remplacé par un autre produit présentant exactement les mêmes caractéristiques chimiques. Et une nouvelle certification est nécessaire, processus qui peut demander deux années.
Et un incendie en Pologne
Quelques mois plus tard, une usine polonaise fabricant le produit durcisseur utilisé pour les enduits à froid a été victime d’un incendie et totalement stoppée. D’où des difficultés sérieuses d’approvisionnement sur le marché français.
Plusieurs incidents industriels sont survenus chez des fournisseurs en raison de la surchauffe liée à la reprise mondiale. Les industriels ont fait tourner leurs usines à plein régime, retardant les périodes de maintenance pour répondre à la demande. Certaines d’entre elles ont connu des pannes importantes, désorganisant un peu plus une chaîne de production déjà malmenée.
Des fournisseurs invoquent la force majeure
La pénurie de matière première amène régulièrement les fournisseurs à se déclarer en situation de « force majeure », disposition légale permettant de surseoir à l’exécution d’un contrat en cas d’événements majeurs indépendants de leur volonté, sans subir de pénalités de retard. Faute d’être livrés, les fabricants de peinture se trouvent à leur tour en « force majeure » pour certains de leurs produits.
Les entreprises du secteur espéraient une détente à la fin de l’année 2021, la crise Covid étant plus ou moins derrière nous. Mais il n’en est rien. Beaucoup de matières premières restent « sous allocation », c’est-à-dire contingentées au même niveau de commande que l’année précédente. Les fournisseurs, sous pression depuis des mois, n’ont pas réussi à refaire leurs stocks et limitent donc leurs livraisons.
Les prix s’envolent
Ces tensions sur le marché entraînent des augmentations en cascade de tous les composants. La fabrication de peinture faisant largement appel à la pétrochimie, tous les dérivés du pétrole sont touchés par la flambée de prix du baril.
La palme revient aux solvants qui enregistrent jusqu’à 300% de hausse !
Le méthylethylcétone, par exemple, est passé de 930 € la tonne en octobre 2020 à 1950 € en décembre 2020, et 3713 € en avril 2022.
Le méthylmethacrilate, pour sa part, est passé de 1725 € en juin 2020 à 2755€ un an plus tard, et 3625 € en avril 2022.
Les peintures solvantes sont très utilisées pour le marquage routier (70% du marché contre 30% pour les peintures à l’eau) car elles offrent une plage d’utilisation plus large, allant de février à novembre contre avril-octobre pour la peinture à l’eau. Mais le prix du solvant a plombé les finances des fabricants : il représente aujourd’hui 30% du coût de la peinture contre 20% avant l’envolée du pétrole.
Toute la chaîne de production touchée
L’explosion des prix touche aussi les emballages. Les peintures sont livrées en fûts ou en bidons métalliques stockés sur des palettes de bois. Or le cours des métaux s’est envolé en 2021. En l’espace d’un an, les emballages métalliques ont augmenté de 50%. Même tendance pour le bois de palette, importé majoritairement d’Ukraine : entre décembre 2021 et avril 2022, la tonne est passée de 335 € à 506 € en raison de la guerre avec la Russie. L’énergie n’échappe pas à ces hausses. La flambée du prix du gaz met à mal les industries très énergivores, comme la fabrication des billes de verre utilisées pour les peintures réfléchissantes. La consommation de gaz représente un tiers de leur prix de revient.
Quant au transport routier, il subit de plein fouet l’augmentation du prix des carburants conjuguée au conflit en Ukraine qui prive les entreprises de leurs chauffeurs ukrainiens partis se battre sur le front. Certaines fournitures ont augmenté de 15 à 20% uniquement sur le poste transport.
Des dispositions juridiques en soutien
Dans ce contexte général de hausse, les révisions annuelles de prix s’avèrent inopérantes, les tarifs fluctuant d’un mois à l’autre. Une disposition du Code de la Commande Publique prévoit « qu’un marché peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions prévues par voie règlementaire lorsque les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues ».
Cette théorie de l’imprévision est applicable lorsque les événements :
- Sont imprévisibles, liés par exemple à des phénomènes naturels ou des circonstances économiques raisonnablement non prévisibles.
- Extérieures aux parties liées.
- Ne sont pas irrésistibles, auquel cas ils seraient alors qualifiés de force majeure.
- Bouleversent substantiellement l’économie du contrat, ce qui est le cas dans ce dossier.
- Sont temporaires.
En mars 2022, Jean Castex, alors Premier ministre, a publié une circulaire appelant les collectivités locales et les Etablissements Publics à appliquer la théorie de l’imprévision aux contrats administratifs, et à modifier les contrats de la commande publique en cours lorsque cela s’avère nécessaire.
Il invite à geler les pénalités contractuelles dans l’exécution des commandes publiques et à insérer une clause de révision des prix dans tous les contrats de commande publique à venir.
Le Syndicat des Équipements de la Route (représentant + 6000 emplois « made in France ») invite les donneurs d’ordre à utiliser ces leviers afin de ne pas mettre en péril les entreprises du secteur et leurs salariés, et par voie de conséquence la continuité même des services publics.
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