Il était une fois la signalisation routière

Sécurité routière et équipements dédiés à la signalisation sur les voies de circulation ne datent pas d’hier. Leur histoire a débuté dès que l’homme a commencé à vouloir se déplacer. Et l’on découvre que les bornes kilométriques ont été inventées par les Romains au cours de l’Antiquité, que le premier panneau date de 1900 et que les bandes blanches axiales, annoncées dès 1833, sont apparues en 1911.

LA PREMIÈRE BANDE BLANCHE AXIALE est apparue sur une route du Michigan, aux Etats-Unis, en 1911.

LA PREMIÈRE BANDE BLANCHE AXIALE
est apparue sur une route du Michigan, aux Etats-Unis, en 1911.

Tous les chemins mènent à Rome ! A l’aube de notre ère, alors que l’empereur Auguste régnait sur un territoire couvrant une grande partie de l’Europe actuelle et l’essentiel du pourtour méditerranéen, il était possible de se déplacer du nord de l’Angleterre jusqu’au sud de l’Egypte en empruntant de grands axes principaux ou des artères secondaires. On estime que le réseau des voies romaines atteignit à son apogée une longueur totale de 150 000 km.

Si elles avaient été tracées principalement à des fins militaires afin de favoriser le déplacement des légions, les viae publicae et vicinales jouèrent néanmoins un rôle économique important. A tel point que c’est au cours de cette période antique que furent créés les premiers péages à l’entrée des villes. L’administration romaine inventa aussi les aires de repos implantées tous les 10 à 15 km au bord des chaussées et, surtout, la signalisation routière. Celle-ci prit la forme de bornes indicatrices des distances. Ces colonnes cylindriques taillées dans la pierre, hautes de 2 à 4 m et de 50 à 80 cm de diamètre, n’étaient pas érigées de manière régulière et équidistante comme aujourd’hui, mais indiquaient ponctuellement les noms des villes environnantes et leurs distances par rapport à Rome. L’unité de mesure était alors le "mille romain" correspondant à 1000 doubles enjambées, soit environ 1 480 km. Une indication des réparations et des travaux d’entretien effectués figurait également sur ces "bornes milliaires", autant pour informer les utilisateurs des voies romaines que pour assurer la réputation de l’empereur ou de ceux qui avaient ordonné ces opérations de maintenance.

Si le tracé originel des voies romaines constitua longtemps la trame du réseau routier français, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on vit apparaître une nouvelle "signalétique". C’est à partir de 1745, sous le règne de Louis XV, que furent implantées le long des routes royales, tous les deux kilomètres, des bornes de pierre ornées de fleurs de lys.

Dans le domaine de la signalisation, ce sont les Anglais qui, bien avant Waterloo, tirèrent les premiers. En 1669, dans la région du Gloucestershire, comté du sud-ouest du royaume, un poteau de bois portant plusieurs "bras" horizontaux sur lesquels figuraient les directions à suivre pour se rendre à Gloucester, Oxford ou Warwick, fut planté à une intersection. Et l’on a retrouvé la trace d’un acte législatif datant de 1697 autorisant les élus à placer des poteaux indicateurs de ce type, baptisés fingerposts, aux principaux carrefours.

L’Allemagne emboîta aussitôt le pas à l’Angleterre, comme l’atteste un document de 1704. Et bien des pays, dont le nôtre, virent leur réseau routier se doter de ce mode de signalisation tout au long du XVIIIe siècle, parfois de façon anarchique et désordonnée. A tel point que l’administration française dut publier dès 1835 une circulaire afin d’uniformiser les dimensions des poteaux indicateurs.

PRIORITÉ À DROITE

En revanche, nul ne sait qui décida officiellement qu’il fallait se déplacer sur la droite de la chaussée ! Tout se joua, semble-t-il, au XVIIe siècle. Jusqu’alors, dans toute l’Europe médiévale, l’habitude voulait que l’on se positionne sur la gauche lorsque l’on montait à cheval, du côté où les chevaliers portaient le fourreau de leur épée (afin de pouvoir s’en saisir de leur main droite en cas d’attaque de détrousseurs). On préférait donc avancer sur la gauche des chemins afin d’éviter que les lames ne s’entrechoquent lorsque l’on croisait un autre cavalier armé. Ce fut l’essor des chariots tirés par six à huit chevaux qui changea la donne. Ces véhicules rustiques étaient dépourvus de sièges pour les cochers et ceux-ci s’installaient sur l’une des montures. Souhaitant pouvoir manier leur fouet de la main droite sans risque de blesser d’autres équipages ou cavaliers arrivant en sens inverse, ces cochers prirent l’habitude de circuler à droite. Mais il fallut attendre le début du XIXe siècle et Napoléon pour voir cette coutume se transformer en règle obligatoire pour tout son empire, tandis que la perfide Albion continuait de circuler à gauche.

L’arrivée de l’automobile ne changea rien à l’affaire, mais les développements rapides de la technique impactèrent directement la signalétique routière. Dès 1883, un enseignant d’une université américaine prédit que les voitures (le terme "automobile" ne fut validé officiellement que vers 1890) rouleraient un jour à la vitesse fulgurante de 40 km/h. Visionnaire, il annonça que ces bolides seraient contraints de circuler sur des routes marquées de bandes centrales afin d’éviter les collisions frontales. De fait, le tout premier marquage axial devint réalité en 1911 aux Etats-Unis. Cette année-là, un certain Edward N. Hines, responsable d’un club cycliste, eut l’idée de peindre une ligne médiane sur une route du Michigan après avoir vu la traînée blanche laissée sur la chaussée par une citerne de lait !

Cette innovation mit du temps à traverser l’Atlantique et ce n’est que dix ans plus tard, en 1921, qu’une ligne blanche de ce type fut tracée dans une rue de la ville anglaise de Sutton Coldfield. Ce sont des riverains qui en firent la demande aux autorités, se plaignant de la conduite dangereuse des automobilistes responsables de nombreux accidents.

En France, on décida bien d’utiliser ce principe de bandes séparant les voies de circulation, mais on les choisit de couleur jaune. Et quand les Etats-Unis prirent la décision en 1971 de remplacer leurs lignes blanches par des lignes jaunes, les Français firent exactement l’inverse en 1972, passant du jaune au blanc afin de se conformer à une harmonisation au niveau européen... Le blanc était également jugé supérieur pour augmenter la visibilité sur les routes, d’autant plus qu’une innovation majeure était apparue en 1965 avec l’introduction de la technique du marquage rétro-réfléchissant, très utile dans l’obscurité.

ON TRAVERSE DANS LES CLOUS ! A Paris, en 1932, ces ouvriers installent un passage clouté pour les piétons.

ON TRAVERSE DANS LES CLOUS !
A Paris, en 1932, ces ouvriers installent un passage clouté pour les piétons.

D’ABORD LE FEU ROUGE

Si des bandes axiales étaient donc chargées de maintenir les véhicules sur leurs les respectives, encore fallait-il pouvoir les stopper pour permettre les croisements aux carrefours. C’est dans ce but que furent inventés les premiers feux de signalisation. Une fois encore, l’Angleterre joua les pionniers et c’est à Londres que l’on installa en 1868 une sorte de sémaphore constitué de bras articulés commandés manuellement par un policier. Afin de rendre ces indicateurs plus visibles de nuit et par mauvais temps, ces sémaphores furent équipés de lampes de différentes couleurs fonctionnant au gaz, mais toujours manipulées par un préposé. Ce choix technologique eut de tragiques conséquences, non pas pour les premiers conducteurs londoniens, mais pour les membres d’une patrouille à cheval dont les montures prirent peur, s’emballèrent, et tuèrent plusieurs cavaliers. Un autre policier perdit également la vie en 1869 lorsque "son" feu de signalisation à gaz explosa. Sagement, Londres s’intéressa à l’option électrique en 1925, dans le sillage de cités américaines comme Salt Lake City, Cleveland ou New York.

A cette origine anglaise des feux de signalisation communément admise en Europe, les Américains opposent d’ailleurs une autre version : selon eux, c’est un inventeur de génie, Garett A. Morgan, descendant d’esclaves noirs du Kentucky, qui aurait conçu le premier véritable signal de circulation en 1922 avant de céder ses droits à General Electric.

Quoi qu’il en soit, Paris choisit également de confier le fonctionnement de ses feux de signalisation à la fée électricité en 1923. Jusqu’à cette date, ce sont les agents de police qui réglaient la circulation aux carrefours par des signaux manuels. Si un premier indicateur électrique fut donc installé au croisement entre les boulevards de Sébastopol et Saint-Denis, il ne s’agissait pas d’un feu "tricolore" puisqu’il n’émettait plus qu’une seule couleur, le rouge, obligeant à intervalles réguliers les véhicules à stopper. Le vert ne fut ajouté qu’une dizaine d’années plus tard afin d’autoriser le passage. C’est une sonnerie qui informait les conducteurs de l’imminence des changements de couleur, avec pour conséquences de brutaux coups de frein, source de collisions. Au cours des années 1930, on remplaça donc cet avertissement sonore (qui, de plus, imposait aux riverains des nuisances auditives) par un feu orange.

Si ce principe des feux tricolores fut adopté un peu partout dans le monde selon le même mode, la question des panneaux de signalisation ne rencontra pas la même unanimité, comme on le verra plus loin.

ATTENTION, DANGER

Dès l’aube du XXe siècle, en France comme en Allemagne, on s’attaqua à la vitesse alors que fort peu d’automobiles circulaient. En 1895, on ne dénombrait par exemple qu’environ 350 voitures dans l’Hexagone, tandis qu’elles n’étaient que 75 outre-Rhin et 80 aux Etats-Unis ! Ce qui n’empêchait pas la population comme les pouvoirs publics de les considérer comme des fléaux coupables de faire du bruit et de causer des drames. C’est d’ailleurs en 1898 que se produisit officiellement le premier accident mortel de l’Histoire. Roulant sur une route de la région de Périgueux, le marquis de Montaignac fut doublé par l’un de ses amis, M. de Montignol. Pour le saluer, le marquis lâcha son levier de direction. Son véhicule quitta alors la route et heurta un arbre, tuant l’infortuné conducteur... Face à un réseau routier inadapté, car dépourvu d’un revêtement adéquat et de toute signalisation routière, certains envisagèrent une solution radicale : l’interdiction pure et simple des automobiles, notamment dans les agglomérations. Un arrêté du 21 février 1893 accorda en tout cas aux maires la faculté de réglementer librement la circulation dans leur ville. Toujours dans le but de limiter le danger, le 14 août de cette même année, un texte ministériel institua l’obligation de disposer d’un certificat particulier pour pouvoir prendre le volant. L’ancêtre du permis de conduire était né...

La vitesse se trouva sévèrement réglementée (déjà !) à partir du 10 mars 1899 : pas plus de 30 km/h dans les campagnes, 20 km/h maxi dans les villes. En 1900, alors que les véhicules circulant en France atteignaient le nombre de 1600 (ils seront 53000 dix ans plus tard, et 330000 en 1920), Léon Gaumont, pionnier du cinéma, mit au point le premier radar capable de mesurer la vitesse sur les routes. Jusqu’alors, les constats d’excès de vitesse étaient laissés à la libre appréciation des représentants de l’ordre...

Toutefois, ces limitations de vitesse drastiques ont été abolies en 1922. C’était désormais à chacun d’adapter sa conduite en fonction des circonstances! La vitesse ne sera à nouveau réglementée en France qu’en 1974 (130 km/h sur autoroutes, 110 km/h sur les routes à chaussées séparées et 90 km/h sur le réseau secondaire), autant pour tenter d’abaisser le nombre de morts sur les routes que pour réduire la consommation d’essence, le choc pétrolier de 1972 étant passé par là !

En 1990, c’est en ville cette fois que la vitesse sera limitée à 50 km/h, avec des zones 30 km/h mises en place à partir de 2016 dans certaines agglomérations.

CHACUN SES PANNEAUX

Au début du XXe siècle, si les premiers panneaux placés au bord des routes portaient des mentions comme "Ralentir" ou "Allure modérée", la vitesse ne pouvait être considérée comme le seul et unique risque. En 1902, l’Association générale automobile créa des panneaux portant un symbole indicatif destiné à informer les conducteurs français de différents dangers. Chaque pays choisissant son propre mode de signalisation, une tentative d’uniformisation internationale se déroula en 1909 à l’occasion d’une conférence diplomatique organisée à Genève. Il fut décidé de distinguer les indications d’obstacles de celles concernant les directions. Panneaux ronds dans le premier cas, rectangulaires dans le second. Quatre panneaux d’obstacles furent imaginés : X pour un croisement, Z pour une succession de virages serrés, ainsi qu’un dos d’âne et un passage à niveau avec barrière. Ce chiffre de quatre panneaux est à comparer avec les 384 panneaux de signalisation différents comptabilisés un siècle plus tard, en 2007.

LA FRANCE RALENTIT. De nouveaux panneaux “110” sortent de l’usine Neuhaus, à Urrugne, au Pays basque. Au début des années 1970, la France a adopté de nouvelles limitations officielles de vitesse.

LA FRANCE RALENTIT
De nouveaux panneaux “110” sortent de l’usine Neuhaus, à Urrugne, au Pays basque. Au début des années 1970, la France a adopté de nouvelles limitations oficielles de vitesse.

Souvent, ces panneaux portaient le nom de généreuses marques donatrices. Au début des années 1910, Michelin mit des panneaux à disposition des communes, notamment pour marquer les entrées et les sorties d’agglomération (les célèbres bornes Michelin en pierre de Volvic émaillée portant des indications de direction et de kilométrages feront leur apparition à partir de 1918).

Tout va encore changer à partir de 1926 lors d’une réunion à Paris d’un Comité permanent à la circulation routière, lié à la Société des nations, précurseur de l’ONU. Cette fois, il est décidé de faire passer les panneaux indicateurs de danger d’une forme ronde à triangulaire. Deux ans plus tard, on ajoute à la liste le sens unique et le stationnement interdit. En 1931 est enfin signée une convention internationale sur l’unification de la signalisation routière. Désormais, les panneaux sont classés en quatre catégories : danger, prudence, prescription et indication. Toutefois, l’harmonisation échoue concernant les normes européennes et américaines. Non seulement les formes et les couleurs des panneaux diffèrent, mais en plus on préfère les indications sous forme de symboles compréhensibles par tous sur le Vieux Continent, alors qu’aux Etats-Unis on emploie des inscriptions en anglais. Et tandis que chez nous la bordure rouge prédomine, le jaune et le noir sont privilégiés outre-Atlantique.

Près de vingt années se passent, mais la conférence des Nations unies sur les transports routiers et automobiles qui se tient en 1949 ne parvient toujours pas à rapprocher les méthodes et confirme l’impossibilité d’harmoniser la signalisation routière au niveau mondial.

Chacun campa à nouveau sur ses positions en 1968, en particulier sur la forme des panneaux de danger. En Europe, on continua à préférer la forme triangulaire avec fond blanc, très différente du losange à fond jaune made in USA.

Aujourd’hui encore perdurent deux systèmes différents, certaines nations asiatiques ayant opté pour l’une ou l’autre des solutions.

Et l’on ne peut que se féliciter d’avoir vu en 1971 la ratification d’un accord européen sur la signalisation routière, tant ce domaine a pris de l’ampleur. On distingue en effet la signalisation verticale (regroupant panneaux, bornes et feux), la signalisation horizontale (marques routières et plots), les signalisations permanentes, temporaires ou variables, mais aussi les signalisations autoroutières, cyclistes et piétonnes !

DES BARRIÈRES DE RETENUE AUX GLISSIÈRES DE SÉCURITÉ

Longtemps, on ne vit que des arbres en bordure des voies de circulation. En France, au début du XXe siècle, seules les routes de montagnes ou en terrain accidenté bénéficiaient de parapets en maçonnerie. La situation évolua lors de la construction de l’autoroute de l’Ouest (future A13), qui commença avant la Seconde Guerre mondiale, mais dont les études initiales avaient été lancées dès 1927. Lorsque la totalité du parcours entre Paris et la Normandie fut ouverte à la circulation, en 1946, les conducteurs découvrirent ce que l’on appelait encore des "barrières de retenue" fabriquées en métal et béton, premier équipement industrialisé en matière de sécurité (les écrans acoustiques longeant les autoroutes firent leur apparition à la fin des années 1960 pour limiter les nuisances sonores).

Autres accessoires dédiés à la sécurité souvent visibles sur les routes et les autoroutes, les cônes de chantier, dont la forme et la couleur orange nous sont aujourd’hui familières, seraient nés quant à eux en 1952, à Lübeck, en Allemagne.

En 1972, 18 000 personnes sont décédées dans un accident de la route, 3 500 en 2016. Si cette diminution considérable est due à un ensemble de facteurs (amélioration des véhicules, baisse de la vitesse, réglementation concernant l’alcoolémie, etc.), l’aménagement des routes et les efforts accomplis en matière d’équipements et de signalisation routière ont joué un rôle majeur. Une priorité à souligner sans modération...